Abby passa une main dans ses cheveux et s’étira avant de laisser échapper un soupir de ses lèvres. La fatigue commençait à se faire sentir pour la doctoresse. Elle était éveillée depuis trop longtemps et le manque de sommeil commençait lentement à faire son effet. Elle réajusta ses lunettes sur son nez et replongea dans sa lecture. Elle devait poursuivre ses recherches pour aider au mieux son prochain patient. Abby râla lorsqu’elle se rendit compte qu’elle lisait la même ligne pour la cinquième fois. Elle s’éloigna de l’écran de son ordinateur et s’appuya sur son fauteuil tout en fermant les yeux. Un court instant, elle laissa ses pensées dériver sur un tout autre sujet que l’hôpital. Elle pensa au fait que ça faisait un très long moment qu’elle n’avait pas reçu de message de Marcus. Ils avaient l’habitude d’échanger régulièrement. Faute de pouvoir se voir pour un second rendez-vous pour l’instant, c’était leur seul et unique moyen d’être en contact. Abby ne s’en plaignait pas, elle avait juste du mal à calmer son impatience grandissante de vouloir le voir tous les jours. Lors de la soirée de bienfaisance, elle s’était sentie à l’aise avec lui. Mais lors du premier rendez-vous, c’était autre chose. C’était comme si elle l’avait toujours connu. La sensation était étrange à vivre. Juste penser à lui la fit sourire de manière stupide avant qu’elle ne reprenne contenance et qu’elle cligne plusieurs fois des yeux. Il était peut-être temps qu’elle rentre chez elle pour se reposer un peu. Elle savait qu’elle n’avancerait pas plus pour ce soir. Abby vérifia sa montre.

Elle se recula avec sa chaise et se leva. Elle sortit de son bureau après avoir récupéré sa blouse de médecin et l’avoir enfilé. Elle déambula dans les couloirs et passa par l’accueil où elle croisa le chemin de Jackson. Abby lui sourit et ouvrit la bouche pour lui dire quelque chose avant qu’il ne l’arrête et l’attire dans un coin discret. Abby fronça les sourcils. “Ton Général est là.” - “Mon Général ? Le Général Kane ?” Il hocha la tête. “Comment ça il est là ?” Elle ne comprenait pas. “Il a eu un accident de voiture.” Abby n’entendit pas la suite. Elle avait l’impression qu’on venait de lui mettre un coup de poing dans le ventre. Un accident de voiture ? Elle prit le bras de Jackson et le serra un instant avant de le relâcher. “Où est-il ? Jackson ?” Le médecin vit la lueur de panique dans les yeux de la doctoresse. Il n’avait pas mis les formes et peut-être qu’il aurait dû. “Chambre 4852, mais Abby...” Elle ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. Elle était déjà partie.

Abby se rendit à la chambre où Marcus était. En chemin, elle avait essayé d’être positive. Jackson n’aurait jamais dit ça comme ça si c’était grave. Mais Marcus avait eu un accident. Ses pensées s'accélérèrent d’un seul coup. Elle devait se calmer sinon elle allait céder à la panique avant même de l’avoir vu. Abby finit par s’arrêter non loin de sa chambre pour reprendre sa respiration. Elle sentait sa poitrine se compresser. Elle ferma les yeux et prit une longue respiration avant d’expirer doucement. Elle refit la même chose plusieurs fois avant de se calmer complètement. Elle essaya de garder un visage neutre lorsqu’elle fit son apparition dans l’encadrement de la porte, lui laissant le temps d’entendre qu’il n’avait personne sur sa liste de personne à contacter en cas d’accident. Il n’était pas sérieux ? Elle finit par cligner des yeux lorsque l’infirmière la salua. « Hey… » Hey ? Elle lui jeta un regard noir avant de reporter son attention sur l’infirmière. “Bonsoir. Je connais Monsieur Kane. Je venais voir comment il allait.” La jeune femme hocha la tête avant de lui expliquer que ce n’était rien de grave. Il n’y avait que sa tête qui avait cogné le volant, pour le reste, il aurait juste mal dans les prochains jours. “Et maintenant je vais vous laisser tranquille.” Fit l’infirmière avant de sortir, laissant Abby sur le pas de la porte. Elle essayait de calmer la colère qui commençait à la secouer. Elle finit enfin par tourner son regard vers le Général. Il avait un bandage sur la tête et il avait l’air épuisé.

Elle finit par entrer dans la chambre et referma la porte derrière elle. Toujours sans un mot, elle s’approcha de lui. Elle essayait de ne pas paraître inquiète, mais c’était fichu. “Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Des souvenirs de l’accident ?” Demanda-t-elle alors qu’elle était au pied de son lit. Ses yeux ne quittaient pas les siens. Elle sentait une boule se former dans sa gorge et elle ravala l’envie de pleurer. Elle avait eu peur en entendant Jackson parler d’accident. La seule chose qui lui était venue en tête c’était qu’elle ne voulait pas revivre une autre perte.

Abby avait l’impression qu’elle allait étouffer. Elle serrait la barre du lit avec force, blanchissant ses doigts. Sa mâchoire était contractée et elle n’arrivait pas à détacher ses yeux de Marcus. Elle l’écouta alors qu’il lui expliquait ce qu’il s’était passé ou le peu dont il se souvenait. Donc, pas de grand-chose. Pas de l’impact. De rien finalement. Abby hocha la tête. Ses lèvres se pincèrent, elle détourna son attention de lui un court instant. Elle essayait de se reprendre et de desserrer les dents pour dire quelque chose. Sa soudaine colère semblait si stupide. Marcus n’y était pour rien, s’il avait pu éviter d’avoir un accident, il l’aurait fait. Elle le savait. « Abby… » Son prénom lui fit relever la tête. Son regard se posa une nouvelle fois sur le Général. Elle s’inquiéta de le voir tenter de s’asseoir avant d’abandonner toute tentative probablement encore trop engourdi par l’accident et l’épuisement. « Je vais bien. » Elle secoua la tête. Il disait ça pour la rassurer. Jake disait tout le temps ça pour la rassurer et puis… jusqu’à ce que ça n’aille plus. Une fois de plus, ses doigts serrèrent la barre du lit. Allez Abby, il n’est pas Jake, il n’est pas malade. se disait-elle. Il n’allait pas mourir. « Ce n’est rien de grave. » C’était un accident. Un accident mineur, certes, mais un accident tout de même. Un accident qui lui fit réaliser qu’elle avait en face d’elle un Général, un homme de l’armée et un homme qui pouvait se mettre souvent en danger. A quoi pensait-elle ? « Approche… S’il te plait. » Il lui tendit sa main et la mine d’Abby se décomposa un peu plus en voyant le bandage. Ses yeux remontèrent jusqu’au visage fatigué de Marcus. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas prendre le risque.

“Pourquoi il n’y a aucun nom dans ta liste de personne à contacter en cas d’urgence ?” Sa voix était plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu. Elle n’avait pas bougé de sa place et de toute façon, elle n’aurait pas pu avancer. Elle sentait son corps trembler sous la panique qui se ruait dans ses veines. “Tu ne veux pas qu’on appelle ta fille pour qu’elle vienne te récupérer ou qu’elle envoie quelqu’un te chercher ?” Elle essayait de comprendre pourquoi quelqu’un ferait quelque chose d’aussi stupide comme ne pas mettre de contact d’urgence. Elle fronçait les sourcils. Abby refusait toujours d’approcher. Elle aurait pu prendre n’importe quel prétexte juste pour sentir sa main sur sa joue, mais pas là, pas aujourd’hui et surtout pas comme ça. Voir Marcus dans un lit d’hôpital l’affectait beaucoup plus qu’elle ne voulait le croire. Ça lui rappelait Jake et ça lui tordait le coeur. Elle n’avait pas prévu de s’attacher aussi vite à Marcus et donc, elle n’avait pas prévu de l’effet que ça aurait sur elle de le voir mal en point.

Abby ne s’attendait pas à ce qu’il comprenne pourquoi elle agissait comme ça. Ils ne se connaissaient pas vraiment finalement. Oui, ils parlaient depuis des semaines par messages, mais ils n’avaient jamais pris réellement la peine de discuter d’eux, de leur histoire et de leur passé. Elle savait peu de choses sur lui et inversement. Il ne pouvait pas deviner à quel point c’était dur pour elle de s’attacher à quelqu’un après avoir autant souffert de la perte de Jake. « Car il n’y a personne à contacter ? » Elle secoua la tête. Elle refusait de croire que personne à l’armée ne viendrait récupérer son Général. Le non qui suivit la fit froncer les sourcils. Il était catégorique, il n’appelait pas à la discussion et il était si froid. Abby n’aimait pas ce ton. Il pouvait le réserver pour ses soldats, mais pas pour elle. « Je vais attendre que le Médecin me donne son feu vert. » De nouveau, la colère saisit Abby. “Parfait.” Répondit-elle d’un ton plus acide qu’elle ne l’aurait voulu. La situation échappait totalement à son contrôle. Elle sentait que quelque chose se terrait dans sa poitrine et ce quelque chose menaçait de sortir à tout instant. Ce quelque chose qu’elle avait enfermé peu après la mort de Jake et qu’elle refusait de voir parce que c’était plus facile d’ignorer la douleur que de l’affronter. « Sauf si vous avez d’autres questions, Docteur, je ne vous retiens pas. » Abby cligna plusieurs fois ses paupières en réalisant le ton froid dans sa voix et l’expression si froide sur le visage du Général qui voulaient dire tu as dépassé les bornes, Abigail. Elle serra les dents une nouvelle fois et se contenta d’hocher la tête avant d’ajouter un : “Très bien, Général Kane.”

Ses doigts se détachèrent du lit et elle se recula détournant son regard du sien. Peut-être qu’il valait mieux que ça ne fonctionne pas entre eux, ça lui éviterait de souffrir. Elle réajusta sa blouse de médecin et franchit les quelques mètres qui la séparaient de la porte. Elle posa sa main sur la poignée et se retrouva dans l’incapacité d’y mettre la pression nécessaire pour sortir de cette pièce. Quelque chose la poussait à rester et à parler. Au moins expliquer pourquoi elle avait réagi comme ça. “Je suis désolée. Je ne peux pas revivre ça une seconde fois.” Peut-être que c’était un peu trop cryptique pour Marcus, mais elle ne lui laissa pas le temps de la retenir et elle sortit de la chambre rapidement. Elle croisa Jackson à un coin de couloir et elle le regretta instantanément en le voyant approcher, un air inquiet sur le visage. “Tout va bien ?” Elle se contenta d’hocher la tête. “Comment va ton Général ?” - “Ce n’est pas… ce n’est plus… ce n’est pas mon Général, Jackson. Monsieur Kane va bien. Je retourne à mon bureau.” Jackson la laissa s’éloigner sans poser plus de questions. Il n’avait jamais vu Abby réagir comme ça. L’instant d’avant, il avait vu de l’inquiétude dans ses yeux, la même inquiétude qu’elle réservait aux personnes qui avaient une place importante dans sa vie. Et là, c’était le retour du Docteur Griffin qui veillait à mettre des distances entre elle et ses patients. Sauf que Marcus Kane n’était pas dans la deuxième catégorie.

Abby ne tarda pas lorsqu’elle revint à son bureau. Elle retira sa blouse de médecin qu’elle suspendit à son porte-manteau et enfila sa veste noire avant d’aller récupérer ses affaires sur son bureau. Elle n’avait pas envie de rester à l’hôpital et d’affronter le regard de Jackson. Son orgueil mal placé souhaitait juste qu’elle rentre et qu’elle oublie Marcus Kane. Elle savait très bien que si elle était restée, elle serait allée le voir une nouvelle fois. Probablement pendant qu’il dormait pour éviter d’avoir à lui parler et aurait vérifié elle-même si tout allait bien pour lui. Et non, ce n’était pas la solution.
Veste sur le dos et sac sur son épaule, elle sortit de son bureau et rentra chez elle. En milieu de soirée, elle avait hésité à lui envoyer un message. Elle avait commencé à écrire avant de tout effacer et de recommencer quelques minutes plus tard. Un lourd soupir franchit ses lèvres lorsqu’elle posa son téléphone pour la énième fois. Elle était incapable de trouver les mots pour justifier son comportement. De plus, il y avait de grande chance pour que Marcus ne voit pas son message vu son état. Lorsque son téléphone se mit à sonner quelques minutes plus tard, elle sursauta et le retourna avec appréhension. Elle fut presque déçue de voir Eric Jackson s’afficher. Le jeune médecin venait prendre des nouvelles. Il était parfois beaucoup trop perspicace et il ne comptait pas lâcher Abby avec le Général. Depuis le temps qu’il connaissait Abby, il ne l’avait jamais vu agir comme ça avec un homme. Il se souvenait parfaitement de la lueur dans les yeux de son amie lorsqu’elle lui avait raconté sa rencontre avec le Général. Elle s’était fermée à toute rencontre depuis trop longtemps, mais pas cette fois. Abby finit par craquer au bout d’un moment à force d’entendre les questions de Jackson et lui expliqua ce qu’il s’était passé en détail. Si le jeune homme avait parié, il aurait gagné. Il savait qu’Abby avait peur et que c’était bien souvent cette peur qui dirigeait la vie de la Griffin. Il l’écouta parler pendant vingt minutes sans lui apporter une solution qui la rassure. La seule chose qu’il s’obstinait à dire était parle-lui, mais Abby était bornée et il savait qu’elle n’irait pas vers lui.

Au final, Abby avait passé une nuit terrible. Après l’appel de Jackson, elle s’était retrouvée incapable de faire quelque chose de constructif. Plus elle pensait à son comportement et plus elle avait envie de se mettre des gifles. Marcus avait eu un accident et tout ce qu’elle avait trouvé à dire c’était pourquoi il n’y a aucun nom dans ta liste de personne à contacter en cas d’urgence ? En terme de manque d’empathie, elle avait un bon niveau. Elle avait ressassé la conversation encore et encore avant de se rendre compte que Marcus avait parfaitement agi contrairement à elle. Et maintenant qu’elle avait tout fichu en l’air, il n’y avait aucune chance pour que Marcus ait envie de lui reparler un jour. Alors oui, elle avait passé une nuit compliquée. Et c’était de mauvaise humeur qu’elle franchit les portes de l’hôpital. Elle avait besoin d’un café. En passant par l’accueil, elle entendit une conversation au sujet de Marcus qui lui fit tendre l’oreille. Deux jeunes infirmières discutaient et l’une d’elles disait qu’il était charmant. N’ayant pas beaucoup dormi, Abby interpréta mal le sens de la phrase et se renfrogna en se disant qu’il était vite passé à autre chose. Elle qui pensait aller le voir pour tenter de lui parler, elle se ravisa. « Oh! Bonjour Docteur Griffin. Vous venez prendre des nouvelles de Monsieur Kane ? » Abby posa son regard sur la jeune infirmière. “Bonjour miss. Non, pas besoin et puis il a l’air d’être entre de bonnes mains.” Répondit-elle sur un ton un peu sec. La jeune femme sentit un léger malaise l’envahir. “Mais pourtant…” Abby lui jeta un regard noir et elle ravala la fin de sa phrase. Mince, elle se comportait vraiment comme ça ? Elle soupira, passa une main sur son visage fatiguée et laissa son expression s’adoucir. “Mauvaise nuit.” La jeune infirmière hocha simplement la tête avant de se tourner vers sa collègue et amie. “En tout cas, s’il continue à être aussi charmant avec moi, je lui glisserai mon numéro avant qu’il parte.” Les yeux d’Abby se figèrent sur la ligne qu’elle était en train de lire. Elle décida de s’éloigner de l’accueil avant que le manque de sommeil ne lui fasse dire quelque chose de regrettable.

Le manque de sommeil lui faisait perdre patience beaucoup plus vite. Elle n’avait pas d’opération prévue aujourd’hui et heureusement. Mais ses recherches n’avançaient pas plus et sa concentration s’évaporait à chaque phrase qu’elle lisait ou rédigeait. Elle soupira et retira ses lunettes pour se masser les tempes un court instant. Elle se sentait toujours en colère contre la jeune infirmière et contre Marcus. “C’est ridicule, Abby.” Se dit-elle pour elle-même. Elle devait se reprendre, ce n’était pas digne d’elle d’être comme ça. Elle prit sa tasse de café et l’amena à ses lèvres pour en prendre une gorgée avant de grimacer. C’était froid. Elle se leva pour aller s’en chercher un autre et croisa Jackson à la machine. “Tout se passe bien ?” Il hocha la tête. “Toujours. Et toi ? Tu avances comme tu veux ?” Elle pinça ses lèvres et secoua la tête. “Absolument pas.” Jackson vérifia que personne ne les écoutait et s’approcha d’Abby. “Tu es allée lui parler ?” La doctoresse s’écarta de lui et reprit sa tasse chaude. “Non et je ne vais pas le faire. Il a besoin de repos et j’ai besoin…” - “De fuir. Encore.” L’interrompit-il. Elle cligna des yeux plusieurs fois et se renfrogna en jetant un regard noir à Jackson. “Ce n’est pas si simple.” Si. Ça l’était. Mais pour ça, elle devait mettre son orgueil de côté. “Il suffit de parler, Abby…” Elle secoua la tête. “Non, Jackson. Et cette discussion est terminée.” Sans attendre sa réponse, Abby sortit de la salle de repos et retourna à son bureau pour s’y enfermer. Marcus n’avait pas essayé de lui envoyer de message non plus. Probablement qu’il devait se satisfaire de la présence de la jolie infirmière.

Abby était absorbée par un article lorsqu’on frappa à sa porte. Elle n’eut pas le temps de dire entrer que la porte s’ouvrit sur le Général Kane. Abby pâlit et se leva en le voyant vaciller. “Comment tu…” - « Abby… » Elle contourna son bureau rapidement prête à le réceptionner si jamais. Elle ne savait pas trop comment elle pourrait réussir à le soutenir vu son petit gabarit par rapport à lui, mais elle y penserait après. « Ne te ferme pas à moi. Nous nous connaissons à peine, oui… Mais je veux tout sauf te faire du mal. Explique-moi. S’il te plait. » Abby secoua la tête et serra les dents. C’était vraiment le moment de parler de ça alors qu’il était hors de sa chambre et mal en point ? “Tu ne pouvais pas m’envoyer un message pour me dire que tu voulais qu’on parle ?” Fit-elle en croisant les bras sur sa poitrine et en haussant un sourcil. “Marcus, qui t’a amené jusqu’ici ?” Elle ne savait pas s’il allait lui donner la réponse et à vrai dire, elle avait un petit doute sur la personne. “Qui que ce soit, c’était irresponsable de te faire marcher. Tu tiens à peine debout.” Ses sourcils étaient toujours froncés. Elle n’était pas contente et morte d’inquiétude. Qu’est-ce qui lui avait pris de faire ça ? Elle soupira en voyant que Marcus ne bougeait toujours pas. “Laisse-moi te raccompagner à ta chambre, tu as besoin d’être dans un lit et non pas debout.” Le teint pâle de Marcus l’inquiétait et elle sentait qu’à tout moment, il pouvait faire un malaise. “Ou, au moins, viens t’asseoir.” Marcus ne semblait toujours pas vouloir bouger et Abby capitula. Il n’allait pas la lâcher de toute façon. “On parlera, je te promets. Mais viens t’asseoir. S’il te plaît.” Son regard s’était adouci alors que son coeur battait très fort dans sa poitrine. Elle n’avait pas envie qu’il s’épuise plus que nécessaire. Cette fois, ce fut elle qui lui tendit la main dans l’espoir qu’il la prenne et la laisse le guider jusqu’au fauteuil.

Abby réalisa qu’en effet, Marcus ne pouvait pas avoir son téléphone. Toutes ses affaires devaient se trouver dans sa voiture. Une fois de plus, elle avait perdu une occasion de se taire. Est-ce que Marcus avait besoin qu’elle l’accable autant ? Probablement que non. Et depuis hier, elle n’arrêtait pas de lui exprimer sa colère alors qu’elle était totalement injustifiée. Stop Abby, reprends-toi. Oui, elle devait se reprendre et se calmer. Abby haussa un sourcil et fit une petite moue signifiant qu’elle ne croyait pas un seul instant que Marcus avait traversé tous les étages tout seul et qu’il avait réussi à trouver son bureau comme par hasard. Elle faillit lui faire la remarque que ça ne servait à rien de défendre son complice puisqu’elle finirait bien par apprendre qui c’était, mais elle se ravisa. Arrête de l’accabler songea-t-elle. Le pauvre venait d’avoir un accident et la seule chose qu’elle s’entêtait à faire c’était de le repousser en se montrant parfaitement insupportable. Il n’avait aucun moyen de savoir que l’ombre de Jake planait toujours autour d’elle, tout le temps.

Toujours la main tendue vers lui, elle attendait que Marcus réagisse. Il la fixait et Abby faillit perdre patience. Finalement, il se décida à bouger et vint poser sa main bandée dans la sienne. Abby pinça les lèvre et retint la réplique qui menaçait de franchir ses lèvres. Au lieu de ça, elle l’accompagna jusqu’au fauteuil où il se laissa tomber. Abby pensait qu’il allait la lâcher, mais ce ne fut pas le cas. Au contraire. « Abby… » Sa mâchoire se contracta. Elle avait promis de toute façon. Elle ne pouvait pas se défiler. « J’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? » Abby posa enfin son regard sur lui. Le choc pouvait se lire dans ses yeux. Pourquoi croyait-il qu’il avait fait quelque chose de mal ? Probablement parce que tu as laissé sous-entendre que c’était le cas. Elle se mordit l’intérieur de la lèvre avant de baisser le regard et de fixer ses chaussures.

“Marcus…” Soupira-t-elle. Elle referma la bouche. Comment pouvait-elle dire ça ? Elle n’avait jamais réussi à en parler. Pas même à Clarke. “Le problème ne vient pas de toi. C’est plus… compliqué…” Repenser à Jake ramenait toujours les mêmes souvenirs. Ceux qui montraient qu’elle n’avait pas été capable de le sauver ou de voir les symptômes de sa maladie. Elle était médecin. Chirurgienne même. Et elle avait été incapable de lui sauver la vie. Et par la suite, elle s’était fermée à toute relation pour éviter de connaître cette même douleur. Mais une promesse était une promesse. “Après… Après Jake, je ne pensais pas revivre quelque chose avec quelqu’un.” C’était beaucoup plus difficile que ce qu’elle s’était imaginée. Elle voulut se détacher de lui, mais il ne la laissa pas se dérober. Elle sentit un noeud se former dans sa gorge. Mince, ça ne devait pas se passer comme ça. “Tu me plais, Marcus. Beaucoup. Et ça me terrifie.” Ses yeux s’étaient mis à briller et elle sentait qu’elle allait se mettre à pleurer dans un instant. Elle luttait le plus fort possible pour essayer de repousser tout ça, mais la fatigue jouait beaucoup avec ses nerfs la rendant encore plus à fleur de peau. “Ton accident m’a rappelé que j’avais déjà perdu quelqu’un qui comptait beaucoup pour moi. Tu es Général, Marcus, tu es amené à te mettre en danger et tout ça me l’a rappelé… alors égoïstement…” Le mots ne venaient plus. Elle leva les yeux au plafond dans l’espoir d’empêcher ses larmes de sortir. Elle en écarta une puis deux avec sa main libre. “Égoïstement, c’était plus facile de te repousser que d’affronter la peine une nouvelle fois.” Abby l’avait dit et elle se sentait misérable. Elle n’osait pas baisser ses yeux pour regarder Marcus de peur d’y lire de la colère ou de la tristesse. Elle se détestait suffisamment comme ça.

La main de Marcus glissa de la sienne et elle referma ses bras autour d’elle comme pour se protéger. Du coin de l’oeil, elle le vit bouger et se lever du fauteuil. Il se mit debout et vint prendre son visage entre ses mains. Abby détacha ses bras et vint les poser sur la taille du Général. Plus par mesure de précaution que par réponse à son geste. Il pouvait tomber dans les pommes à tout moment et il restait un patient avant d’être l’homme sur qui elle avait des vues. Il plongea son regard dans le sien encore embué de larmes.  « Tu as le droit d’avoir peur Abby, mais tu as également droit au bonheur. Le départ de Jake est une tragédie, mais ça ne veut pas dire que tu dois arrêter de vivre. » De nouveau, sa gorge se noua. Elle écoutait juste Marcus sans le lâcher une seule seconde des yeux. Tout était réconfortant chez lui. Elle en oubliait presque sa froideur de la veille. Il justifia ensuite son poste. Il n’irait pas sur le terrain et ne serait pas en avant dans les combats, mais il restait Général malgré tout. Si le danger n’était pas aussi réel que s’il était soldat, il était tout de même là.

« Je ne te laisserai pas me repousser aussi facilement Abby. » Et le coeur de la Griffin flancha. Encore plus lorsqu’il se pencha en avant et qu’il posa son front contre le sien. L’un comme l’autre avaient fermé les yeux. Les mains de l’homme étaient toujours sur ses joues et elle sentait une douce chaleur rassurante l’envahir. Elle ne s’attendait pas à cette réaction de la part de Marcus à vrai dire. Peut-être avait-elle cru qu’il avait lâché l’affaire ? Après tout, d’après le sous-entendu de l’infirmière de ce matin, il avait été charmant avec elle. Abby profita de ce contact pour reprendre un peu contenance. Elle avait vraiment failli se mettre à pleurer ? Elle essaya de focaliser son attention sur autre chose que sur Jake. Elle n’avait pas l’habitude de parler de lui comme ça et de parler de tout ça tout court. Elle porta son attention sur la respiration de Marcus et son souffle léger qu’elle sentait sur son visage. Son parfum vint aussi jusqu’à ses narines et elle s’était déjà fait la réflexion qu’elle aimait bien son odeur. Petit à petit, elle sentait ses émotions s’apaiser et ses muscles se détendre.

Elle tenait toujours Marcus par la taille avant de se dire qu’il ferait mieux de regagner sa chambre plutôt qu’être ici. “Merci.” Murmura-t-elle sans savoir pourquoi elle le remerciait. Il voulait tout et rien dire ce merci. Merci d’être encore là. Merci de l’avoir écouté. Merci. Abby ouvrit les yeux de nouveau. Elle l’observait un peu en louchant avant de se reculer pour mieux le voir. Il était beaucoup trop pâle. Ses lèvres se pinçaient. “Marcus ? Tu veux bien t’asseoir ? J’ai l’impression que tu vas faire un malaise.” Fit-elle toujours à voix basse, inquiète par son état. C’était de la folie qu’il soit là. Et elle allait avoir une bonne discussion avec Jackson (parce que c’était sans doute aucun lui le coupable). Sans vraiment attendre son accord, Abby se détacha de Marcus et l’obligea à se réinstaller sur le fauteuil. Elle l’ausculta rapidement pour être certaine que ça allait malgré tout. “C’était de la folie de venir jusqu’ici, tu le sais j’espère ?” Elle fronçait un peu les sourcils. Il avait l’air aussi têtu qu’elle sur certains points et Abby ne savait pas si c’était une bonne chose.

Abby s’attendait à ce que Marcus proteste beaucoup plus et tienne à rester debout en refusant qu’elle l’installe sur le fauteuil. Alors lorsqu’il acquiesça et qu’il se laissa faire, elle lui lança un regard surpris. Soit il devenait raisonnable, soit il se sentait vraiment épuisé. « Je le sais, mais c’était essentiel. » Abby sentit son coeur rater un battement en voyant son demi-sourire sur les lèvres. « Je retourne dans cette chambre à une condition. » Abby haussa un sourcil et croisa ses bras sur sa poitrine tout en le regardant droit dans les yeux. « Tu reviens me voir à la fin de ta journée ? » Elle se mit à réfléchir à son agenda. Normalement elle devait finir un peu plus tôt, mais rester pour ses recherches. Elle pouvait toujours trouver des moments pour aller voir Marcus et au sourire qu’il lui faisait, elle n’avait pas le coeur à refuser. Elle se sentait encore un peu fragilisée par leur discussion, mais elle savait qu’il n’allait pas la lâcher. Je ne te laisserai pas me repousser aussi facilement Abby. C’était ses mots. Elle savait qu’il était déterminé et que sur ce point, elle avait perdu d’avance.

« Tu peux pas faire quelque chose pour tenir les infirmières loin de ma chambre ? » Abby mit du temps à comprendre. Surtout que repenser aux infirmières lui rappela ce qu’elle avait entendu le matin-même. “Oh tu n’as pas joué la carte du charmeur pour qu’elles te laissent tranquille ?” Sa remarque était sur le ton de la plaisanterie, mais son regard montrait une pointe de jalousie. Juste légère, mais bien présente. C’était absurde, cette pointe de jalousie, rien ne s’était passé entre Abby et Marcus. Ils étaient juste deux adultes qui se fréquentaient et rien d’autre. Elle décroisa ses bras pour poser ses mains sur ses hanches. “Je vais voir ce que je peux faire pour espacer leurs visites.” Il devait savoir qu’elles faisaient ça pour s’assurer que tout allait bien pour lui. En y réfléchissant, elle pouvait peut-être se charger de l’ausculter elle-même en prévenant le médecin de Marcus à l’avance et ainsi, il pouvait être certain de pouvoir se reposer suffisamment pour commencer à récupérer de son accident. “Et je passerai te tenir compagnie à la fin de ma journée si tu es suffisamment sage et que tu ne tentes plus de sorties hors de ta chambre.” Dit-elle avec un petit sourire en coin. Vu sa démonstration du jour, elle sentait que si elle refusait il allait débarquer de nouveau à son bureau.

L’oublier ? Comment le pouvait-elle seulement ? Quand bien même elle le voudrait, il ne lui en laisserait pas l’occasion. Marcus Kane était en train de laisser un souvenir indélébile à la doctoresse. “Laisse-moi te raccompagner. Je vais récupérer un fauteuil, c’est mieux que de marcher.” Le Général refusa pourtant. Une longue discussion commença alors entre Abby et Marcus. Abby le trouvait toujours aussi irresponsable de vouloir retourner à sa chambre en marchant. Marcus s’obstinait à dire que sinon il ne bougerait pas de son bureau. Il réussit à l’emporter pour cette fois, Abby était fatiguée et peu patiente. Elle n’argumenta pas plus et se contenta de pousser un profond soupir avant de l’aider à se lever. Elle réussit à lui faire passer un bras autour de ses épaules pendant qu’elle passait le sien autour de sa taille pour le soutenir. Elle le raccompagna dans sa chambre, s’évertuant à faire des pauses en chemin pour qu’il retrouve son souffle ou retrouve une certaine stabilité.

Arrivés à la chambre du Général, la jeune infirmière qu’Abby avait vue le matin-même les foudroya du regard. La doctoresse libéra Marcus qui alla jusqu’à son lit où il s’y installa sans grande peine. Abby avait son attention focalisée sur lui et ne remarqua pas l’air agacé de la jeune femme qui se trouvait aussi dans la pièce. Autant qu’elle l’ignore le plus possible. Elle n’avait pas aimé son attitude lorsque l’infirmière l’avait vue se tenir si proche du Général. « Je ne sais pas ce qui se passe entre vous, mais Monsieur Kane est en convalescence. Il vaudrait mieux le laisser se reposer plutôt que de lui faire visiter l’hôpital. » Abby mit du temps avant de comprendre qu’elle s’adressait à elle. Elle dévisagea la jeune femme. Son visage n’avait aucune expression, mais ses yeux s’étaient enflammés. “Peut-être que si vous passiez moins de temps à discuter avec votre amie, vous auriez pu constater que Monsieur Kane était sorti tout seul de sa chambre.” Sa voix claqua et son ton était glacial. “Je suis médecin et bien au courant de la situation de Monsieur Kane, je n’aurai jamais pris un risque aussi inconsidéré. Alors gardez vos insinuations pour vous.” S’il y avait bien une chose qu’Abby n’aimait pas c’était qu’on se montre autoritaire avec elle. Elles se dévisagèrent pendant un moment. Abby ne lâcherait rien et comme tous les autres, l’infirmière capitula en premier. La jeune femme préféra s’en aller sans rien dire de plus.

Abby relâcha sa respiration lorsque la porte se referma. Elle enfonça ses mains dans les poches de sa blouse de médecin et s’approcha du lit de Marcus. Son regard s’était apaisé lorsqu’elle croisa le sien. Elle lui sourit et pencha un peu la tête sur le côté. “Repose-toi. Ne lutte pas contre le sommeil.” Elle sortit sa main gauche de sa poche et vint serrer doucement la main de Marcus. “On se dit à tout à l’heure.” Elle pressa doucement ses doigts contre les siens avant de le relâcher. Vu l’état dans lequel Marcus était, elle n’était pas sûre qu’il serait réveillé au moment de la fin de son service. Il avait besoin de dormir pour que son corps puisse se remettre du choc de l’accident.
Abby se sentait encore secouée par le fait de le voir dans un lit d’hôpital, si mal en point. Elle voyait des patients tous les jours, mais elle avait toujours autant de mal quand c’était un proche ou quelqu’un qu’elle connaissait un peu.

Une fois hors de la chambre, Abby relâcha de nouveau sa respiration. Ses émotions étaient totalement désordonnées comme à chaque fois qu’elle était en présence de Marcus. Elle s’éloigna de la chambre, mettant le plus de distance entre lui et elle pour son propre bien. La peur ne l’avait pas quittée et ne la quitterait probablement jamais. Ce qu’elle ressentait depuis sa toute première rencontre avec le Général l’effrayait au point où elle avait hésité à entrer de nouveau dans cette chambre pour lui dire que ce n’était pas possible et qu’elle ne pouvait pas continuer comme ça. Elle remit ses cheveux en arrière avant de se diriger vers la salle de repos où elle y trouverait Jackson.
Lorsqu’il la vit, il comprit. Elle avait ce regard qui disait je sais ce que tu as fait et non, ce n’est pas bien. Le pire ? C’était qu’il assumait totalement. “Je ne vais pas revenir sur le fait que c’était totalement irresponsable de ta part de l’avoir amené jusqu’à mon bureau.” Fit Abby en s’approchant de lui. Jackson haussa les épaules, un petit sourire victorieux sur le visage. “Il avait l’air suffisamment déterminé à l’idée d’y aller tout seul, Abby. Je ne suis pas sûr qu’il aurait apprécié que je le ramène de force dans sa chambre.” La Griffin haussa un sourcil, surprise qu’il ne s’en cache pas. “Lui dire que tu venais me chercher pour aller lui parler aurait peut-être suffi à le convaincre.” Elle était moins sûre de ça par contre. Simplement parce que : “On le sait toi et moi, tu n’y serais pas allée.” Les lèvres de la médecin se pincèrent. Il avait raison. Une fois de plus. “C’était le seul moyen pour que tu l’écoutes et que tu lui parles.” Jackson la faisait enrager. Au fond d’elle, elle savait qu’il avait eu raison de faire ça. Elle soupira et plissa un peu les yeux. “La prochaine fois, évite, Jackson. Tu restes médecin, tu as des devoirs ici et mettre la vie des patients en danger n’en fait pas partie.” Elle préférait le prévenir. Elle n’allait pas faire remonter cette information, mais elle ne serait pas clémente une seconde fois.

Abby passa une journée allant de la frustration intense de ne pas pouvoir avancer comme elle voulait dans ses recherches à la joie de voir un patient se réveiller après une opération encore groggy mais en bonne santé. Lorsque l’heure de rendre sa blouse arriva, elle ne put s’empêcher de pousser un soupir. Elle l’accrocha à son porte-manteau dans son bureau et réajusta sa tenue en se regardant dans le miroir juste à côté. Elle suspendit son geste en se disant que c’était un peu idiot de faire ça. Marcus ne remarquerait probablement rien, il était encore trop épuisé. Abby secoua la tête avant de récupérer ses affaires pour rejoindre la chambre du Général.
Elle donna trois coups et tendit l’oreille pour voir s’il lui répondait. Rien. Elle poussa la porte doucement pour s’apercevoir qu’il dormait encore. Abby hésita un instant à entrer. Marcus dormait enfin et elle ne savait pas pour combien de temps encore. Elle-même se sentait épuisée par sa journée et sa nuit précédente. Mais elle lui avait dit qu’elle passerait. Elle entra finalement dans la chambre et referma la porte doucement derrière elle. Abby déposa son sac et sa veste dans un coin et vint s’installer sur une chaise près du lit. Elle laissa son regard détailler la figure pâle du Général. Il lui semblait que ça allait mieux, il avait les traits moins tirés.

Lorsque Marcus commença à s’agiter sous une douleur fulgurante, Abby se leva et sentit l’adrénaline courir dans ses veines. Elle devait laisser de côté l’affect pour l’instant et c’est mécaniquement qu’elle actionna la perfusion pour que le calmant efface la douleur du visage de Marcus. Lorsqu’il se détendit, Abby relâcha le tuyau et remarqua que ses mains tremblaient. L’inquiétude encore et toujours. Marcus tenta d’ouvrir un oeil avant de le refermer. Abby glissa une main dans la sienne et l’autre se posa délicatement sur sa joue. “Vas-y doucement.” Fit-elle à voix basse pendant que son pouce caressait sa pommette. “Je suis là.” Comme pour lui assurer qu’il ne rêvait pas ou que ce n’était pas un délire. Oui, elle était là et elle ne comptait pas bouger pour l’instant. C’était toujours douloureux pour elle de le voir dans cet état et ça réveillait beaucoup de mauvais souvenirs, mais elle lui avait promis.

Abby laissa échapper un léger rire lorsqu’il l’appela par son titre. Docteur Abby. “Monsieur le Général.” Répondit-elle d’une voix douce. Sa main n’avait pas quitté sa joue et son pouce caressait toujours sa pommette. Elle hocha la tête lorsqu’il constata qu’elle avait tenu sa promesse. Oui, elle était là. Non, elle ne comptait pas bouger pour l’instant. Abby finit par retirer sa main de sa joue lorsqu’elle entendit le vrombissement du lit qui se remontait. Elle le laissa se réveiller tranquillement. Elle l’observait en silence. Ça lui serrait toujours le coeur de le voir avec un bandage autour de la tête et de la main. Le fait qu’il ait pu avoir mal l’embêtait au plus haut point. « Comment s’est passé ta journée ? » Elle cligna plusieurs fois des yeux en reportant son attention sur son visage. Elle ouvrit la bouche pour lui répondre, mais il enchaîna. « Tu crois qu’il y a une possibilité pour que je puisse rentrer ? J’ai l’impression de revivre. » Abby pencha la tête sur le côté. Est-ce qu’il essayait un petit numéro de charme pour tenter de la convaincre de le laisser sortir ? Manque de chance, Abby n’était pas son médecin. “S’ils t’ont dit que tu devais rester deux jours à l’hôpital, il y a très peu de chance pour qu’on te laisse partir.” De sa main libre, elle poussa la chaise jusqu’à elle et s’y installa. Elle se fit la réflexion que c’était vraiment pas le top en terme de confort. “Ça peut être dangereux de te laisser partir si tôt, surtout si tu es seul chez toi. Si jamais tu fais un malaise et qu’il n’y a personne pour le remarquer, ça peut être très problématique.” Elle avait un petit sourire désolé sur les lèvres. Abby essayait de garder une voix calme, mais la perspective de le savoir seul chez lui l’angoissait. Ce n’était pas plus mal qu’il reste ici et qu’il reçoive la visite des infirmières assez régulièrement. “Sois patient et si tout va bien, ils te laissent partir demain soir.” Elle souhaitait que ce soit le cas. Ça ne devait pas être facile pour lui d’être coincé ici et s’il n’avait pas de nom dans sa liste de contact, ça voulait dire que personne à l’Armée devait être au courant.

La Griffin relâcha enfin la main de Marcus et se leva de sa chaise. Elle prit son verre vide et alla lui remplir de nouveau. Elle savait qu’avec les médicaments, Marcus allait avoir besoin de boire beaucoup. Autant qu’il profite qu’elle soit là pour faire la navette entre la petite salle de bain et son lit. Lorsqu’elle revint près de lui, Abby soupira avant de se souvenir qu’il lui avait demandé comment s’était passé sa journée. “Quant à ma journée, elle s’est bien passée. Je sais qui t’as aidé à venir jusqu’à mon bureau et il ne recommencera pas.” En disant ces mots, elle n’était pas sûre que ce soit le cas. Jackson avait souvent peur d’Abby, mais pas quand il jugeait que ce qu’il faisait était totalement nécessaire. “Et j’ai un patient qui s’est réveillé après une lourde opération. Il va bien et il ira bien mieux après sa sortie de l’hôpital.” Elle haussa ses épaules comme si ce n’était rien. Elle parlait toujours de ses opérations comme si ce n’était pas grand-chose alors qu’elle savait qu’elle pouvait être fière de ce qu’elle faisait. Elle posa de nouveau son regard sur Marcus et lui sourit. “Comment va ta tête ?” Demanda-t-elle. “N’essaye pas de me dire que tout va bien, je ne suis pas ton médecin, je ne pourrais pas te faire sortir plus tôt.” Il pouvait mentir aux infirmières et au docteur en charge de son cas, mais pas à elle.

Abby hocha la tête. S’il n’avait pas de vertiges assis, c’était bon signe. Le repos était nécessaire pour que Marcus puisse récupérer totalement. « Tu es certaine de ne pouvoir rien faire ? » Une fois de plus Abby ouvrit la bouche pour lui dire qu’elle ne pouvait vraiment rien faire et qu’elle n’avait pas envie de le faire non plus. L’inquiétude risquait de la ronger si jamais il lui arrivait quelque chose chez lui. Il ne lui laissa pas le temps d’avancer ses arguments puisqu’il enchaîna tout de suite après. « Et si tu m’accompagnes ? Qui de mieux qu’un médecin pour me surveiller ? » Elle l’étudia un long moment, le visage sans émotion. Elle avait, certes, tous les arguments en tête pour refuser et lui dire que c’était bien mieux qu’il soit ici, mais rien ne venait lorsqu’elle tentait de le dire à voix haute. Principalement parce que la solution que Marcus proposait était faisable et très envisageable. Rien ne l’empêchait de signer la décharge pour le faire sortir et elle pouvait même se porter garant de son état. Puis comme l’avait souligné Marcus, rien de mieux qu’un autre médecin pour veiller sur lui. Abby avait les bons gestes et les bons réflexes. Mais voilà, Abby avait peur. Ils n’étaient jamais allés chez l’autre, ils n’avaient pas encore franchi le pas dans leur relation. D’ailleurs pouvait-elle vraiment parler de relation alors qu’ils ne faisaient que se fréquenter quand ils pouvaient ?

La perspective d’aller chez lui était une étape qu’elle avait repoussé à plus tard. “Tu sais que ça veut dire qu’il faut que je reste chez toi si jamais ton médecin accepte de te faire sortir ?” Elle voulait bien qu’il ait conscience qu’elle ne pourrait pas le laisser seul. D’une part elle ne le voulait pas et d’autre part, professionnellement ça ne serait pas sérieux de sa part. “Je ne pourrais pas juste te ramener et te laisser. J’insiste bien sur le fait que ça peut être dangereux si jamais il t’arrivait quelque chose.” Elle se répétait, elle le savait, mais Abby ne plaisantait plus avec la santé de ses proches. Et clairement elle ne se le pardonnerait jamais si quelque chose lui arrivait.
Abby pouvait comprendre le désir de Marcus de rentrer chez lui. Personne n’aimait rester trop longtemps dans un hôpital. C’était froid et l’ennui frappait toujours à un moment donné. Si Marcus était comme elle sur ce point, sa patience avait des limites et celles-ci étaient déjà atteintes. “Je ne peux pas être certaine que ton médecin sera d’accord avec le fait de te laisser sortir par contre. Ne sois pas trop déçu s’il refuse.” La décision ne lui revenait pas. Quelque part, elle espérait presque que son médecin ne soit pas d’accord. Elle n’aurait pas à angoisser d’entrer chez lui. Elle se trouvait un peu stupide de commencer à stresser pour ça. Elle irait juste pour le surveiller et rien de plus. Ce n’était pas un rendez-vous. C’était juste Abby qui faisait son devoir.