Je n’arrivais pas à évacuer ce sentiment d’échec. J’avais souhaité rester aux Etats-Unis le plus longtemps possible pour essayer de servir la cause des vampires, mais aussi celle des humains. Mais c’était trop dur. J’avais cette sensation que la notion même de bon sens avait tout simplement disparue dans ce pays. Au cours de cette année, je n’avais pas fait des choses dont j’avais été particulièrement fier. J’avais ouvert à nouveau cette foutue porte rouge et je m’étais enfoncé plus profond que je ne l’avais jamais été. Le choix avait été finalement évident. A l’aide de Rebekah, je m’étais finalement réfugié au Canada. Mon objectif est avant tout de reprendre des forces et surtout du contrôle sur moi.

Rebekah m’avait récupéré dans un état assez minable. La faim m’avait fait perdre l’esprit et j’avais tué beaucoup de monde. J’avais besoin de me nourrir mais comme toujours, j’avais été incapable de me stopper. Je suis entièrement reconnaissant de l’aide de ma sœur qui a su me faire reprendre un minimum pied. Je ne me sens pas des plus forts, des plus sûr de moi à cet instant, mais j’ai ce sentiment de réussir à reprendre du contrôle sur moi. Retrouver Rebekah et surtout intégrer la vie qu’elle s’est construite ici me permet de retrouver un cadre. Ici elle a repris notre habitude de se faire passer pour des humains et je réalise à quel point ce mensonge était avant tout vital pour notre santé mentale.

Ce matin, je tentais ma première sortie depuis plusieurs semaines. Vêtu d’un costume acheté par ma sœur, je ne m’étais pas fait prier pour le porter. Cette maniaquerie apparente, ce besoin d’être toujours tiré à quatre épingles avait toujours été une béquille fondamentale pour moi. Mon manteau en feutrine sur le dos, je bravais le froid. Je n’avais aucune idée de ce que je comptais faire. Une chose était certaine, je voulais sortir et sentir l’air frais sur mon visage. Au détour d’une rue, je me stoppais net face à la vision qui se présentait à moi. J’avais cru voir une visage familier entrer dans un célèbre café. Je n’avais pas rêvé… ou bien peut être que si ? Elena ? Katherine ? L’apparition avait été trop furtive pour que je sois capable de l’identifier. Pressant le pas, je décidais de rentrer dans le café.

Il parait que lorsqu'on est coupé de tout repère spacio-affectif, le plus dur est de se forger une nouvelle routine. Une de celles qui nous rassure, qui nous donne envie de nous lever le matin, sans avoir à craindre ou se sentir anxieux par le déroulement de cette nouvelle journée.
Pour Jeremy, cela a été plutôt simple. Dés notre arrivée, nous avons fait son inscription au lycée -afin qu'il y finisse ses études convenablement- puis, au fil des jours et des semaines, il s'est trouvé de nouveaux amis. Je le soupçonne même de s'être amouraché d'une des filles de sa classe, parce qu'il n'a jamais autant été motivé à aller en cours que cette année-ci. A moins que cela ne soit le changement d'air qui lui ai lavé le cerveau.
Quant à moi, je m'efforce d'avoir une vie des plus banales.
Chaque matin, par exemple, je vais courir aux aurores. Cela peut paraître bête mais, sans l'adrénaline secrétée lors de mes courses, le reste de mes journées serait fichu.
Oui.. l'adrénaline est une chose qui m'a terriblement manqué lorsque nous sommes arrivés au Canada. J'y ai été tellement confrontée par le passé qu'elle est devenu mon plus grand et fidèle repère, celui sans lequel je me sens perdue.
Est-ce que ma vie d'avant me manque ? ..évidement.
Est-ce que j'aurais envie de revenir quelques années en arrière ? ..non.
Ce qui appartient au passé ne fait plus partie du présent.. et lorsque nous avons prit la décision de partir des Etats Unis, nous étions amplement conscients de ce que cela voudrait dire. Autant pour nous deux -entant que seule famille- mais, pour le reste de la troupe. Oui.. Caroline, Bonnie et les autres. Les Salvatore.
Je les avait pourtant prévenu. Tous autant qu'ils sont.
Les filles font partie de ma vie depuis toujours. Il est clair qu'elles font partie de moi, presque autant que mon frère mais, Stefan et Damon.. il me fallait prendre du recul. Il NOUS fallait prendre du recul. C'est pourquoi je leur avait demandé de ne pas m'en vouloir mais, dés notre départ à tous, tout ne serait plus comme avant. Faire table rase, tout reprendre à zéro. Voilà ce que je leur ai demandé.
Cela n'est pas facile tous les jours -surtout pour Damon- mais, alors qu'ils étaient mes deux piliers principaux, ils ne le sont plus aujourd'hui. Et ça, j'en suis fière.
Il ne faut pas croire que mon affection pour les garçons s'est envolée, non. Je suis simplement fière et heureuse de ne plus avoir à m'appuyer sur eux pour chaque situation ou petit problème rencontré dans ma vie. Bien que j'en ai beauuucoup moins depuis qu'ils ne sont plus au centre de celle-ci. C'en est presque ennuyant.
Voilà pourquoi le cours. Voilà pourquoi l'adrénaline du matin m'est si précieuse.
- Un café crème et un thé noir s'il vous plait.. et, attendez, je vais vous prendre deux de ces cookies aussi. Ceux fourrés au chocolat.
Oui.. cela aussi, c'est précieux. La nourriture !
Depuis que nous sommes arrivés au Canada, la priorité numéro un est de ne pas révéler notre secret au reste du monde. Notre vrai nature, notre dark side. Bref, le fait que nous sommes des vampires.
Du coup, tous les matins, la deuxième chose que je fais et qui me tient particulièrement à coeur est d'aller nous chercher le petit déjeuner avant que Jeremy ne parte au lycée.
J'ai prit le temps de prendre en douche, pas de panique. J'en connais qui seraient capables de rentrer dans un établissement tout en sentant le fauve mais, honnêtement, ce n'est pas mon cas. Bien que je me demande si ma condition de vampire me permette de sentir autant que lorsque j'étais humaine. Tiens tiens.. je ne m'étais jamais vraiment posé la question avant.
Je récupère le sac à emporter que le serveur me tend et, discrètement, je lève un bras pour sentir mon aisselle - bien que j'ai déjà prit ma douche, on ne sait jamais. C'est là qu'une toute autre odeur vient titiller mes narines. Une odeur bien familière mais qui, pourtant, je n'ai pas eu le loisir de sentir depuis bien longtemps.
Je chercher inconsciemment la source des yeux, jusqu'à tomber sur lui. Et là, c'est drôle mais, une bouffée l'adrénaline me frappe pour la deuxième fois de la journée.
- Elijah..?

A cet instant précis tout un tas de question se bousculait dans mon esprit. Immobile juste à côté de la porte d’entrée, je reconnus l’odeur de la jeune femme. Il s’agissait d’Elena. De son parfum si délicat qui n’avait de toute évidence pas changé. Il était bien différent de celui de Katherine. Il traduisait tout simplement les caractères bien différents des deux jeunes femmes. Celui de Katherine était bien plus ostensible. Oui, il était puissant cherchant à cacher quelque chose et en l’occurrence la fragilité et la peur de la jeune femme. Le parfum d’Elena était plus délicat, plus discret. Cette discrétion traduisait la force qui caractérisait Elena et qui m’avait toujours rendu admiratif depuis le premier jour de notre rencontre, alors même qu’elle faisait face pour la première fois à un vampire puissant, alors même que je venais de décapiter un homme de ma main.

Bien qu’admiratif, nous n’avions pas toujours, pour ne pas dire, rarement en accord. Nous avions toujours essayé de protéger les êtes que nous aimions et cela nous avait mis en opposition. Cependant, je n’avais jamais personnellement voulu de mal à la jeune femme et je regrettais qu’elle ait été au milieu des histoires de famille. Immobile mais silencieux, cette vision me renvoyait à une époque qui me sentait si lointaine. Une époque avant que je ne perde pied. Soudainement, j’avais envie de montrer une assurance que j’avais perdue depuis plusieurs mois. « Bonjour. » dis-je finalement en m’approchant de quelques pas.

« Le hasard ne semble pas vouloir vous épargne les Mikaelson. » Je ne savais absolument pas comment Elena pouvait réagir. Il faut dire que la dernière que j’avais pu voir la jeune femme, elle venait d’être transformée en vampire par les actions de ma sœur. « Vous semblez aller bien. » ajoutais-je finalement. J’étais sincèrement désolé et je regrettais de ne pas avoir pu le faire. Les événements du monde, ce que j’avais essayé d’accomplir sans succès en Amérique avait tout simplement mis de côté tous les événements. Cette dernière année n’avait été qu’une succession d’échec cuisant. L’incapacité de raisonner quoi que ce soit. Mais surtout la faim avait été le plus dévastateur. Dans un monde qui n’avait pas su rationaliser la nourriture humaine, la faim et la pénurie était présente de manière constante. Et j’avais été ainsi le bourreau de la race que j’avais essayé d’aider.

Un cri se fit entendre dans la pièce d’à côté. Imperceptible au non vampire, l’accident était clair pour nous deux. Et cela se confirma avec cette délicieuse odeur de sang. Fermant les yeux, je ne pu m’empêcher de saliver à cette odeur de sang coulant d’une main ouverte. Me pinçant les lèvres, je luttais contre l’envie. Rebekah avait été claire : les vampires sont découverts mais hors de question qu’on sache qu’elle était un vampire. Et j’étais d’accord avec cela. Mais lorsque l’on avait été privé de sang pendant des mois, il était difficile de ne pas agir comme un boulimique surtout lorsqu’on vous met cette odeur délicieux sous le nez. Je sentais les vaines de mes yeux s’accentuer, mes canines sortir. Dans un mouvement négatif de la tête, je ne regardais plus Elena. « Au plaisir de vous avoir revu. » Sans attendre, je sortie du café. Je devais mettre le plus de distance entre moi et cette main coupée. Discipline, discipline, discipline.

Il faut avouer qu'il n'a pas tord, ce qui m'arrache un sourire. Après tout, qui aurait parié que nos chemins se croiseraient encore, surtout à ce bout là du monde ? Quelles étaient les chances pour que nos deux familles frôlent une nouvelle fois le sol d'un même pays ? ..bon, avec ce qui est arrivé aux USA, c'était peut-être prévisible que nous choisissions le Canada -la Suisse moderne- finalement... et, au bout du compte, ce n'est pas si étonnant.
Je vais pour répondre à son semblant de compliment lorsque je sens, moi aussi, cette douce et tendre odeur de sang qui nous vient des cuisines du café. Je tourne instinctivement ma tête, perdant Elijah du regard. Quelqu'un vient de se couper, très certainement en préparant un des fameux sandwich phares que l'établissement propose le midi à ses clients. Faut quand même être gauche et pas doué pour se blesser en coupant des cornichons, non ? Elijah ? Le sang m'a presque fait oublier sa présence. Je recentre son attention sur lui mais..
- Est-ce que..
..ça va ? Non, visiblement pas.
Trop préoccupé à gérer mes propres pulsions, je me rends compte de la réaction de l'originel que lorsque qu'il s'est déjà esquivé. J'ai pourtant vu les veines sur son visage.. Aurait-il perdu son calme légendaire, ce qui faisait de lui le seul Originel auquel je me fiais ? Voilà qui pique ma curiosité et me pousse à le suivre sans attendre.
- Attendez, ne partez pas si vite !
Main tendue vers lui, je presse le pas et arrive à lui agripper le bras pour le faire se retourner vers moi. J'en profite pour le dévisager des pieds à la tête. Quelque chose a changé en lui.
- Qu'est-ce qui passe ? Est-ce que..
Pas besoin d'en dire plus, ni de finir ma phrase.
Si j'avais été un peu plus attentive, j'aurais vu les signes avant même que cette imbécile de se coupe au café. Parce que, oui, les signes de "négligence" sont bien là et, ça, c'est une preuve suffisante pour indiquer que l'homme devant moi n'est plus le même que j'ai connu. C'est aussi une preuve qu'il a besoin d'aide.
Nous avons tous été frappés de plein fouet par ce qui se passe chez nous, aux Etats Unis. Tous ceux qui ont élu domicile à Montréal -et au Canada en général- ne sont pas venus les mains dans les poches et des fleurs dans les cheveux. Non. Nous sommes surtout arrivés avec des souvenirs marquants et la peur au ventre, que l'on soit humain ou non d'ailleurs..
- Peut-on discuter quelque part ?
Mon regard tourne autour de nous mais, je ne vois que des êtres susceptibles de nous pointer du doigt si notre nature venait à être révélée. Je ne prendrai pas ce risque.
- Chez vous ou chez moi ? Il faut absolument que je vous parle.
Bon.. le mot "absolument" est peut-être un peu de trop mais, après tout, je ne compte pas laisser cette homme s'évaporer dans la nature après ce que je viens de voir.

Fuir, c’était la seule alternative que j’avais à cet instant présent. Je ne pouvais pas rester dans ce café au risque de me laisser envahir par mon désir de sang. C’était un désir que seuls les vampires pouvaient comprendre… ou bien les amants vivant une passion. Une attirance, une envie de sang si forte que l’on pouvait être capable de tuer pour s’en rapprocher. Et à cet instant précis, si nous revenions 4 mois en arrière, j’aurais couru vers ce sang, j’aurais tordu le coup de ce pauvre homme si violemment que je l’aurais en partie décapité et je l’aurais tout simplement vidé de son sang. Et je sais que cela n’aurait pas été suffisant. Il m’en aurait fallu plus. Il en faut toujours plus dans ce genre de situation.

J’entendis les paroles de la jeune femme mais je n’avais aucune envie de m’arrêter. Je ne pouvais pas m’arrêter pour la simple raison que je ne pouvais pas craquer. Je ne pouvais pas me permettre de décevoir ma sœur. C’était hors de question, pas encore une fois. La discrétion était la règle de ma sœur et j’étais en total accord avec cela. Je ne pouvais pas accepter l’idée de faire du mal en public. Et une des autres raisons était que je refusais de perdre la face devant Elena. J’avais été un homme puissant et fort, une partie d’un temps j’avais été son ennemi, l’effrayant. Et bien que je ne voulais plus être vu de la sorte, je refusais d’être vu dans ma vulnérabilité. C’était hors de question.

Alors que j’espérais me fondre dans la foule, c’était sans compter la ténacité de la jeune femme. Lorsqu’elle m’attrapa le bras, ce fut l’instant précis où je fis disparaître mes veines de mes yeux. Silencieux, je l’observais. Au fond de moi j’étais surtout rassuré d’avoir réussi à contrôler mon envie de sang. C’était la première fois que j’étais confronté à une telle situation en public et mon sel control de cet instant précis me rassurait grandement. Voilà une manière de prendre confiance en soi.

Arquant un sourcil, je fus intrigué par son insistant à vouloir me parler. Chez moi ou chez elle ? Hors de question d’aller chez Rebekah. Je ne me considérais pas comme chez moi et je ne préférais pas l’inviter là-bas. On ne pouvait pas non plus dire que l’entente entre les deux femmes était exceptionnelle par le passé. « Chez vous mais... » finis-je par dire simplement. « Pour qui est le second gobelet ? » demandais-je finalement. Ce n’était pas que j’étais particulièrement curieux. Je voulais simplement lui rappeler qu’elle était peut-être déjà attendue ailleurs.