Abigail avait fini sa journée. Elle écrivit rapidement ses observations sur son ordinateur avant de tout fermer et d’abandonner sa veste blanche pour un long manteau noir dans lequel elle rangeait ses clés d’appartements et tout ce dont elle avait besoin. Elle n’avait pas de sac à main parce qu’elle n’en voyait pas l’utilité. Elle enfila son manteau et plongea ses mains dans ses poches. Les clés étaient dans celle de gauche tandis qu’elle avait un peu d’argent et ses papiers dans celle de droite. Elle récupéra le téléphone qu’elle s’était achetée récemment puis le glissa avec ses clés. Elle n’avait pas grand monde dans ses contacts à part les autres médecins avec qui elle travaillait et la directrice de l’hôpital. Abigail finit par sortir du bureau qu'on avait mis à sa disposition et le verrouilla derrière elle avant d'aller donner les clés à l'accueil. Dans les couloirs, elle salua quelques collègues d’un hochement de tête. Elle poussa la porte qui la menait vers l’extérieur et remonta un peu le col de son manteau. La fraîcheur de la nuit la faisait frissonner. Abigail décida de marcher un peu avant de prendre le train qui la ramènerait chez elle. Être seule dans son appartement la faisait toujours un peu paniquer et fatalement, elle se mettait à penser. Et elle n’avait pas envie de penser à Marcus et à Clarke. Au bout de sept mois, à chaque fois qu’elle pensait à eux, son cœur se lacérait un peu plus. Elle était toujours très seule dans un nouveau monde qu’elle ne connaissait pas et c’était terrifiant de ne pas avoir de repère sur lesquels s’appuyer ou des visages connus pour la rassurer. Abigail serra un peu les poings dans ses poches. Elle devait lutter contre l’envie de laisser ses larmes couler une nouvelle fois. Ça va aller, se répétait-elle chaque jour. Même si elle avait commencé un long processus de deuil, elle gardait toujours un peu d’espoir. On lui avait dit que tout le monde était mort et une part d’elle n’avait pas envie de croire ça. Elle ne pouvait pas être la dernière. Pas après tout ce qu’ils avaient vécu.

Ses pas la conduisirent dans l’arrondissement de Verdun. Ce n’était pas à côté de la gare, mais dans le pire des cas, elle écourterait sa soirée. Elle chercha un endroit où manger parce que son ventre venait tout juste de se manifester. Elle poussa la porte d’un bar. A l’intérieur, c’était plutôt calme. Il était encore tôt pour que les gens profitent de la soirée. Elle salua le barman d’un mouvement de tête et alla s’installer à une table. Abby se débarrassa de son manteau qu’elle posa à côté et s’assit sur la banquette. Elle récupéra le menu et l’étudia avec attention. « Bonsoir ! Décidément nous sommes faites pour nous rencontrer. » Abby redressa la tête lorsqu’une voix s’adressa à elle. Elle fronça un peu les sourcils avant de réaliser que le visage de la serveuse ne lui était pas inconnu. Ses lèvres s’étirèrent en un léger sourire.  “Bonsoir. Je vois ça.” Elle referma le menu doucement. La jeune femme avait l’air d’aller mieux que la dernière où elle s’était vue. « Qu'est-ce que je peux vous servir ? Vous avez déjà fait votre choix ? » Abby découvrait aussi la joie de ne pas être rationnée et de manger à sa faim depuis qu’elle était… sortie de l’hôpital où on la retenait. Elle découvrait ce que c’était que de profiter. Elle aurait tellement voulu vivre ça avec Marcus et Clarke et tous les autres. “Vos oeufs brouillés et un verre de soda, s’il vous plaît.” Même si elle avait faim, elle n’était jamais dans l’excès. “J’ignorais que vous travailliez ici. C’est sympa comme endroit.” Remarqua-t-elle juste avant que la serveuse s’en aille. Elle ne savait pas pourquoi elle la retenait alors qu’elle avait autre chose à faire que de discuter avec la clientèle. Peut-être que la solitude qu’elle ressentait ce soir lui pesait un peu trop et qu’elle avait envie de penser à autre chose.

Abby se souvint où elle l’avait vue : quand elle était venue à Montréal une première fois pour donner un coup de main aux médecins de l’hôpital. La jeune serveuse avait fini sous ses mains. « Oui c'est vrai. J'aime beaucoup ce travail, surtout le soir lorsqu'il y a du monde et que tout les gens s'amusent en chantant. » Abby hocha la tête. Elle n’avait pas trop de mal à imaginer le uns et les autres venir s’essayer au micro installé sur la scène. « Après, c'est vrai que j'évite de dire que je travaille ici, sinon on s'attend à ce que je me mette à pousser la chansonnette à mon tour. Et disons que... ce n'est pas trop mon truc. » Abby haussa un sourcil. “Est-ce un mal de vous entendre chanter ? Vous devez avoir une jolie voix.” Elle ne savait pas pourquoi elle sympathisait autant et pourquoi elle avait besoin de poser des questions ou de retenir la jeune femme dans son travail alors qu’elle pourrait juste se contenter de lui donner sa commande et ne pas chercher plus loin. Ce soir, elle ressentait le besoin particulier de parler. Elle ne voulait vraiment pas rentrer tout de suite. « Mais qui sait, si vous restez assez longtemps, peut-être que vous assisterez à quelques prestations sympathiques de fans de musique. » Abby sourit. Peut-être qu’elle se laisserait tenter à écouter quelques personnes avant de prendre son train. Elle pouvait toujours essayer d’avoir le dernier. “Si ça vaut le coup, pourquoi pas.” Elle haussa les épaules. Elle se demanda si cet endroit aurait plu aux autres. Elle n’avait aucun mal à imaginer John venir chanter sous le regard attentif de Raven, le sourire en coin de Clarke et le sourire moqueur de Bellamy. Elle voyait tous les autres à la même table et chacun voulant y aller. Elle pouvait entendre leurs rires et voir le regard attendri de Marcus. Une puissante nostalgie l’envahit et elle dut se faire violence pour reconnecter avec la réalité et avec la jeune femme qui était toujours là. “ Vous allez mieux à ce que je vois aussi. Ça fait plaisir de vous voir en meilleure forme que la dernière fois.” Fit remarquer Abby. Un peu pour lui signifier aussi qu’elle se souvenait de qui elle était. Elle lui sourit doucement. “Je ne veux pas vous embêter plus longtemps dans votre service, mais c’était un plaisir de vous revoir.” Elle inclina un peu la tête. Elle ne voulait pas qu’elle se fasse gronder par le patron qui les dévisageait déjà depuis quelques minutes. De plus le ventre d’Abby s’était mis à grogner sous la faim qui commençait à monter. Elles auraient d’autres occasions de parler dans la soirée.